pour passer le temps…

Ce dernier mois, en Anciade, nous avons observé un phénomène tout à fait extraordinaire. Une crise identitaire épidémique.
Des millions de personnes frappées d’amnésie, se sont d’elles-mêmes persuadées qu’elles s’appelaient Henri. Ça a commencé, comme toujours, par les faiseurs d’opinion. On peut les comprendre, ce sont des journalistes : Henri, ça leur va bien.
Le problème, c’est que tout le monde s’en est emparé, de ce prénom. Par mimétisme, les politiques se sont dit que ça serait bon pour faire grimper les voix ; les charognards (ou politiques non institutionnels), pour faire briller le soleil à leur porte ; la masse, parce que ça sonnait bien.

De nombreux grammairiens se sont penchés sur le problème soulevé par le début de cette revendication essentielle : « Je suis » Henri-Victor Hugo, à ce qu’il paraît, aurait dit que le pouvoir des mots était tellement immense qu’on deviendrait fou à réfléchir sur le moindre d’entre eux ; or, assurément, « être » est le plus terrifiant de tous. Quant à « Je », il est pas mal non plus, dans le genre. Alors, ensemble…
Hé oui ! Assez rapidement, ça a donné « Nous sommes », voire « Nous sommes TOUS » Ce qui pousse à se demander s’il est possible de ne pas s’appeler Henri, ou de ne pas vouloir s’appeler Henri – ou, pire, de ne même pas être un Henri du tout ! Mais laissons ces réflexions aux creepypastas de tous poils.

De grands rassemblements à travers toute l’Anciade ont rapidement permis aux Henris de vénérer le fait qu’ils étaient Henri. Et, c’est sûr, le fait d’être Henri permettait d’aborder des problèmes intéressants, de défendre une valeur essentielle de l’Henri-publique : la liberté d’expression. Il était très important d’exprimer ce sur quoi tout le monde s’accordait : on était Henri.

Sauf qu’assez rapidement, des non-Henris firent leur apparition. Inconcevable ! Sans doute même pas Anciens – peut-être n’existaient-ils pas ? Une étude approfondie finit par éclairer la population angoissée. En fait, ils se divisaient en deux catégories. D’une part, des Henris qui s’ignoraient. C’est-à-dire qu’ils étaient des Henris de la vie de tous les jours, mais qu’ils sortaient pas beaucoup de chez eux, ne se tenaient pas vraiment informés, et avaient juste loupé un épisode.

D’autre part, les « deux poids deux mesures » Ces gens-là accusaient l’épidémie Henri d’être le résultat d’un complot Onaniste. Et il y en avait de tous âges : par exemple l’un d’eux, un petit niçois de huit ans et demis, refusa publiquement, en classe, de déclarer avec ses petits camarades qu’il était Henri ! Il a même déclaré qu’il était contre Henri ! Rôh, si ça, c’était pas inhumain !
Le professeur de l’École de l’Henri-publique, ne pouvant raisonner ce petit diable, l’envoya chez M. le Directeur. M. le Directeur, ne se trouvant guère mieux, lui a expliqué :
– Ta gueule, la liberté d’expression c’est important.
Et le petit démon de rétorquer qu’il fallait tuer Henri ! Vite, inculpez-le pour incitation au terrorisme !

Dans ce contexte, beaucoup de gens se demandaient déjà si Henri, c’était vraiment ce qu’ils avaient cru. Ils découvrirent que les Henris avaient quand même une méchante tendance à être un peu racistes, un peu insultants, voire carrément orduriers.
À moi, beaucoup de gens très intelligents m’ont dit des tonnes de choses pas connes. Apparemment, de toutes façons, les non-Henris ont une sorte de religion, et la religion est une structure oppressive, donc il faut pouvoir insulter, car l’insulte ouvre le dialogue. Ou le ferme, c’est selon. Mais le dialogue en dispute, c’est sans doute mieux, pour vivre ensemble, que la simple acceptation de la pluriculture.

La fin de l’histoire ? Il me semble que dans dix ans, personne ne s’en souviendra vraiment en Anciade.

~ Les morts dorment en paix.
Les familles pleurent.
La politique, c’est de la mârde. ~
Norther Winslow

Chair Aimée

Faute d’emploi, je ne suis pas inactive ces temps-ci. Rappelée par un vieux souvenir heureux (cf. commentaires de l’article précédent :P), j’ai repris la plume au sein d’un forum pour me lancer dans quelques fanfictions.
Le Feu Sacré s’est rallumé !
En attendant, je partage ici le texte que j’ai écrit. Il est imparfait et imperfectible, mais je l’aime. C’est la première fois que je touchais à ces thématiques auxquelles je suis devenue sensible (et qui sont, à la base, des sujets sensibles) ; dans l’absolu, je crois que j’étais pas pire que mieux.

Attention : psychologiquement, c’est du violent pour de la romance. Ah, et il y a aussi une scène porno au début du chapitre 2 ^^ » (sautez-la si vous êtes pudique mais elle est trop intéressante pour que je la supprime !)

Voici le PDF : ChairAimee
(Si le besoin s’en fait sentir, je vous encourage aussi à jeter un œil sur le forum, où j’explique deux ou trois petites choses sur ce que je pense de ce qui se passe dans cette fic où l’interprétation joue un rôle fondamental. Surtout à partir de la page 2.)

Bien sûr, comme c’est une fanfiction, les personnages et tout le reste viennent d’un autre univers : Code Lyoko. Et pour ceux qui connaîtraient pas, quelques explications de base s’imposent.
Oh, pas grand-chose. C’est une fanfiction axée romance qui commence après la série : la plupart des choses qui se passent pendant la série ont peu d’intérêt. Ça tient de la fanfiction par les caractères des personnages avant tout.

Bon, grosso modo, ça tourne surtout autour d’un triangle amoureux :
– Ulrich et Yumi : le couple qui n’en est pas un. Après 26 épisodes, ils décident de se mettre ensemble, mais ça n’arrive pas vraiment. À l’épisode 53, ils décident d’être « copains et puis c’est tout » car ils n’étaient pas vraiment ensemble. Et à l’épisode 95, il s’est toujours rien passé sauf quelques crises de jalousie sporadiques.
Vous voyez la torture qu’ils ont infligée aux téléspectateurs ?!
– William : l’élément perturbateur. Apparu au cours de la deuxième saison, il a clairement un faible pour Yumi et il la drague ouvertement. Mais il est un rival honnête et n’hésite pas à secouer franchement les puces à Ulrich en lui disant : « Si tu te bouges pas, moi je le ferai. »

Les autres personnages commencent à toucher à l’intrigue. Disons que quatre collégiens (dont Yumi et Ulrich) ont découvert un complexe ultra-high-tech désaffecté planqué dans une usine du coin. Dans ce complexe, un SuperCalculateur quantique capable de trucs de ouf comme de t’envoyer dans un univers en 3D (tu entres dans le scanner, ton corps est désintégré, et pouf, t’es dans la Matrice / le monde de Tron) et de t’en faire revenir, ou de faire des retours dans le temps.
Le hic, c’est que l’ordinateur est habité par deux intelligences artificielles. XANA, qui est maléfique et cherche à tuer nos héros ; et Aelita, qui est bien gentille et que Jérémie, le geek de la bande, a bien envie de se…matérialiser.
Commence donc une lutte contre XANA…dans le secret le plus absolu !

À la fin de la série, Aelita est sur Terre, XANA est vaincu, le SuperCalculateur est éteint, William a passé des mois contrôlé par XANA dans le monde virtuel (ouais, SF glauque quand on y pense) et ULRICH ET YUMI NE SONT TOUJOURS PAS ENSEMBLE ! (Ni même Aelita et Jérémie, d’ailleurs…)

Dernière chose : Code Lyoko Évolution n’existe pas.

 

PS : y’a encore quelques fautes dans le PDF. Comme je garde un historique précis de mes corrections, je mettrai à jour un de ces quatre.
PS2 : Si vous aimez ce texte, allez regarder l’anime School Days.
PS3 : j’en ai pas et j’en veux pas, y’a des DLC.
PS4 : pareil que pour la PS3, mais en plus ça coûte cher.
PS5 : pas avant 2017.

Choisir son idéologie

Il n’y a pas de Raison Absolue, de Vérité, d’Évidence. Il n’y a pas de démonstration, d’argument irréfutable, de réalité indéniable.
Parce que la Science a tué Dieu. Parce que la preuve scientifique est provisoire, et que la connaissance est une croyance.

Il en va de même pour la marche des sociétés.

Il n’y a pas de Justice. Il n’y a pas de Bien.
Jusqu’à ce qu’on les crée.

Qu’importe que j’y adhère ou non, dans les débats, toutes les opinions, tous les jugements, toutes les évidences qu’avancent les uns et les autres sont sur le même plan.
C’est dégueulasse de considérer que 2 minutes de plaisir en bouche, si l’on peut appeler « plaisir » un mastic qui a la saveur ennuyeuse du quotidien, valent la mise à mort d’un animal ? OK.
L’homme est par nature omnivore, et le végétalisme développe des carences que les végétaliens ne connaissent pas parce que la nutrition c’est plus compliqué que « mettez du riz dans vos lentilles » ? OK.
Les femmes sont inférieures aux hommes ? OK.
Le vrai féminisme est celui qui crée l’utopie d’une prostitution universelle des femmes en guise d’empowerment ? OK.
L’hymen ne se « rompt » pas ? OK.
Un papa, une maman, les enfants ? OK.
Une papa, un maman, les enfants ? OK aussi.
L’IVG : mon corps, mon droit ? OK.
Les intermittents du spectacle itinérants ne maltraitent pas les animaux ? OK.
L’homme a tous les droits sur les animaux ? OK.
Wonder Woman est un symbole d’empowerment de la femme avant d’être une icône d’hypersexualisation ? OK.
Chacun est libre de choisir son genre ? OK.
L’inverse ? OK.
Chacun est déterminé par des faits sociaux ? OK.
Hiérarchie des races ? Pourquoi pas, on a bien celle des CSP.
Les végés sont des bourges ? OK.
La Bible est un guide de moralité et une preuve de l’existence d’un Être Suprême ? C’est pas con.
Les homos devraient avoir le droit de procréer et d’élever des enfants ? OK.
La procréation assistée est similaire au clônage ? OK.
Elfen Lied est un chef-dŒuvre scénaristique ? OK.
Les enfants doivent apprendre des choses sur le roman d’aventure ? OK.
Le monde moderne est en manque de Patrie ? OK.
Les mendiants s’en iront si je ne les encourage pas ? OK.

Je pourrais continuer à l’infini, avec pêle-même des phrases débiles ou intelligentes, toujours est-il que quand on les fourre en pots-pourris dans nos cocottes-minutes, y’a des moments où j’ai l’impression de voir ça :

Engouffre et régurgite à jamais

Je comptais mettre une assiette de vomi au départ, mais ça fait assez bien l’affaire.

Pas étonnant, dans tout ce bordel, qu’on n’ait pas le moindre signe de cohérence.

En tout cas, vous savez quoi ? Ça fait peut-être ado débile, mais je crois qu’on a deux types d’idéologies :

  • celles qu’on nous impose sans que nous en soyons conscient (la plupart, et elles portent des noms qui font peur, comme « christianity of the Doom », « partiarcattak », « carnassiérisme », « hétérosexisme », « décapitalisme », « liberalism, mais le gentil, le social », « libéralisme ékonomik », « incinérisme » – consumérisme poussé à l’extrême -, « valeur du tripalliarum« , etc.) ‑ bref, tous les grands méchants loups de Maman Société, dont la seule existence nous demeure invisible la majorité de notre vie ;
  • et celles qu’on nous impose même si on en est conscient (il arrive même qu’on croie les choisir !) – en général, les machins déviants, pas trop compris du public, pas consensuels ou mainstream pour un sou. Bref, des mouvements dont l’essence est la remise en question des valeurs initiales de l’individu – le genre qui trouve que SOS racisme ne peut pas être qualifié d’antiracisme parce qu’il dénonce des choses que tout le monde il sait déjà que c’est mal d’être raciste comme ça.

Bien sûr, il serait stupide de classer telle ou telle idéologie dans la catégorie « inconscient » / « conscient ». Ça dépend plutôt du parcours de chacun, et je ne serais pas surpris que les ChristianityOfTheDoomistes se définissent comme une idéologie minoritaire dans notre pays : mieux, je serais plutôt d’accord avec eux, et pas simplement parce que le plus facile de la loi sur le mariage gay est passé (en fait, en toute honnêteté, ils ont gueulé si fort qu’on a élagué en réaction, et à la fin, y’avait même plus besoin de mettre du lubrifiant !) Mais tout simplement parce qu’ils doivent revendiquer leurs idées dans un monde qui cherche de plus en plus à les refuser.

Donc, à partir du moment où l’on revendique consciemment des idées, où on se met en marge du reste de la société (ou de ce qu’on croyait être « la Société ») pour adhérer aux valeurs d’une communauté déviante, qui définit une Morale, une Vérité, une conception du monde même parfois, différentes ‑ à partir de ce moment-là, on est convaincu d’avoir Raison. Parce que nous, on a vu les deux côtés de la médaille. On a été élevé dans une opinion, et en grandissant, on en a vu les tares, n’est-ce pas, et on en est revenu.
Un peu à la MrRepzion : j’ai grandi catho et débile, et maintenant je suis un athée fier et intelligent.
Un peu à la InsolenteVeggie (et autres) : j’ai un jour été omnivore, mais maintenant je SAIS.
Un peu à la pimentduchaos : avant, j’étais un vilain jaloux et possessif ; je vais mieux maintenant.
Un peu comme moi, bien sûr. Et la liste est longue, encore une fois, j’ai pris les premiers exemples qui me passaient par la tête.

Maintenant, que ce soit bien clair : avoir vaincu des préjugés ne signifie pas qu’on ait raison.
Je le dis au connard défaitiste qui ne croit plus aux utopies des jeunes parce que l' »Expérience » l’en a fatigué. Je le dis au meneur des guerres saintes qui est convaincu que son combat est juste et qu’il est bon. Je le dis au sauvé, au rationnel, à l’esprit froid et détaché ; je le dis à tous ceux qui savent, et qui se mentent à eux-mêmes. Je me le dis aussi parfois.Parce qu’il n’y a pas de Raison Absolue, de Vérité ni d’Évidence. Ni de Justice, ni même de Bien. Jusqu’à ce qu’on les crée.

Ça fait peut-être un peu Jean-Paul Sartre, mais si rien n’est absolu, comment trouver la force de se battre pour quoi que ce soit ? Car se battre, et lutter, et argumenter, et affronter les opinions des autres. C’est blesser ses adversaires, c’est briser leurs egos. Bien sûr, c’est parfois un maigre prix à payer quand des vies sont en jeu et quand des souffrances sont évitées. Surtout qu’on prend beaucoup de plaisir à vaincre son ennemi.
Mais dans ce cas, n’est-ce pas dégueulasse de se battre contre la majorité* ? N’est-ce pas égoïste d’écouter ses propres penchants et désirs, quand ils feront tant de mal aux autres ? Quand nos revendications ne feront que noircir leurs cœurs de haine et de bêtise aveugle ? Pourquoi se battre, pourquoi chercher à changer le monde et les autres si ce n’est pour préserver le bonheur de la majorité ?
Se battre sans avoir Raison. Sans être Juste. Sans être véritablement altruiste. Sans être dans le Vrai.

Je vais vous le dire.
On se bat parce que ça fait plaisir de gagner. On y croit parce que ça fait plaisir d’être gagné. Et on se ment parce que sans mensonge, le monde n’a pas de sens ; sans fiction, sans valeur, sans mot (car le mot est une fiction), le monde n’est pas humain.
Nous cherchons du sens. Nous cherchons quelque chose à vouloir.**

Défendez au moins cinq convictions par mois. C’est bon pour la santé.

_______________________________

* et je les vois venir, les végétaliens, avec leurs conneries selon lesquels les animaux sont la majorité silencieuse. Beh c’est pas comme s’ils faisaient partie de notre société. Et puis merde, même si leur souffrance comptait, comment la comptabiliserait-on « justement » ?
** Ce bref paragraphe peut avoir l’air vide et assez convenu, mais rapporté au sujet de l’article, il est d’un cynisme nihiliste qui m’horrifie et m’écœure littéralement.

Conte

J’avais grifouillé ce truc en prévoyant d’en faire une introduction à un article qui expliquât en quoi :
– nous vivons dans des pseudo-démocraties (cf. la notion bizarre de « démocratie
représentative« ) ;
– la démocratie n’est pas nécessairement le meilleur régime, en termes de justice comme d’efficacité ;
– le culte médiatique de la Croissance me les brise.
Mais bon, je suis retombé dessus en fouillant dans mes papiers, et je me suis dit qu’il claquait suffisamment bien comme ça.

Il était une fois un grand pays lointain, gouverné par un Roi faible et vieux. Un jour, une tempête l’emporta, avec tous ses enfants.
Du peuple en liesse surgirent alors des Princes, que le peuple en deuil changea en Rois. Le premier prit la faux, le deuxième se fit Empereur, le troisième suivit son oncle, le quatrième se drapa dans un drapeau blanc d’orgueil, le cinquième fut élu tyran, le sixième joua un mélodrame christique ; il manqua de peu qu’on adorât des meurtriers.
On appela cela Démocratie, sous prétexte que tout esclave ayant le choix entre deux maîtres devient par là son propre maître.
Un jour, la ville ainée décida que les vœux de ses sœurs étaient trop timorés pour qu’elle les souffrît : elle défia l’autorité du Roi son père, et quitta sa famille. Comme elle était le plus beau joyau de sa couronne, le Roi entra dans une fureur terrible ; aussi, plutôt que de la perdre, il envoya des canons et des soldats pour lui trancher le cou sans rougir sa robe. On ramena sa carcasse meurtrie aux pieds de la Démocratie.
On suggérait alors au peuple de choisir comme on voulait. Le peuple, très heureux qu’on l’aide à réfléchir, aimait s’informer. Ses envies, ses angoisses, ses désirs et ses peurs tendirent soudain vers le Très-Saint hochet du « Pouvoir d’Achat » : une fois le Progrès mort, il fallut la Croissance.
Un Roi vendit l’accoudoir gauche à l’Amérique, le droit à l’Europe ; le dossier fut réservé pour la Sainte Croissance, et le fond donné aux banques. Le peuple garde le reste.

Hi ! Long time no see…Mais ce blog n’est pas mort, non non non…il est juste…Ben, vous savez, je peux donner des tas d’excuses, mais la principale, c’est que je n’avais pas envie d’écrire pour des gens qui ne me lisent même pas, voilà.
Enfin, je suis pas juste. Il y a quand même quelques visites qui arrivent, tous les jours : j’ai donc bien un lectorat potentiel, même si mes apparitions sur la blogosphère se sont faites plus ponctuelles ces derniers mois.
Aujourd’hui, j’ai envie d’écrire un peu. On revient avec un article trans / genre / identité sexuelle / féminisme et harcèlement de rue.

Depuis un certain temps déjà, je suis, et fais, beaucoup moins « homme » qu’avant. Mes vêtements se sont un peu féminisés, et couplés aux cheveux très longs ou aux lèvres plus rouges, ça fait que de plus en plus de gens dans la rue me prennent pour une « demoiselle » (et ce même quand je parle avec une voix de poitrine). En soi, ce n’est pas pour me déplaire, car ça fait un moment que je me considère comme certainement « agenre », et que je pense qu’il est temps que je redéfinisse plus précisément mon identité de genre, voire mon identité sexuelle – sans pour autant me ranger sous une étiquette. Quoiqu’il en soit, pour le moment, j’apparais bigenre, peut-être genderfluid (voir ces images pour un vocabulaire plus précis. J’en profite pour dire que désormais, je m’arroge le droit de varier mon genre grammatical).
En revanche, le fait d’être identifié(e) comme femme change pas mal de choses quand je me ballade dans la rue (en particulier la nuit, mais pas seulement). Le regard de l’autre devient important, voire potentiellement hostile ; ok, ça peut tenir aussi à mes craintes paranoïaques de « choquer », d’avoir un passing défaillant, etc. Mais une chose nouvelle ne trompe pas : des gens m’abordent, voire m’insultent, fréquemment depuis que je m’essaye un peu au maquillage (c’est trop récent pour que je fasse des statistiques, mais une ou deux occurences en quelques sorties, je trouve ça énorme…et pourtant, du maquillage, j’en fous pas 3 tonnes !)

Ces derniers jours :

  • la nuit, des voitures ont ralenti près de moi (deux ces derniers mois, une il y a un an, une autre il y a très longtemps quand j’avais joué aux drag queen :p). Parfois, on m’adressait la parole pour m’inviter à monter/sortir ; parfois, je m’enfuyais ou disait d’une voix plutôt trouble que je n’avais pas envie ; parfois, on passait son chemin quand on me voyait fuyant(e)/laide ; ;
  • un type a crié « Salope(s) ! » par la fenêtre juste quand sa voiture est passée devant moi, à 40km/h, dans la rue (sachant qu’il y avait pas mal de filles revenant d’une soirée avec quelques types, une trentaine de mètres plus loin, ça ne me regardait peut-être pas) ;
  • juste après m’avoir croisé(e), une petite fille de 4 ans a dit à sa maman une phrase qui contenait les mots « la madame », et « laide » ou « moche » (je n’ai pas vérifié si c’était de moi qu’il s’agissait et si j’avais bien compris le propos) ;
  • Je crois aussi qu’il y a aussi une fois où un type bourré a essayé de me draguer. Suis pas bien sûr ceci dit, car la drague et moi ça fait deux ;
  • MAIS SURTOUT, une espèce de crado (que nous appellerons Mr C…) m’a abordé(e) près du métro, en me lançant, à deux mètres de distance et sans arrêter son chemin : « Si tu veux, je te paye des opérations pour te faire refaire la poitrine et le visage ! » Là, pas de doute, j’ai vérifié, cet homme m’avait prise pour une femme et agressée verbalement, pour le plaisir gratuit de se sentir supérieur (alors que je suis sûr que même avec ses vêtements, j’aurais eu grave une belle gueule de beau gosse, plus séduisante que sa sale gueule de vieux con !) C’est à cette anecdote, particulièrement violente, que je m’intéresserai le plus.

La plupart du temps, une voix un peu grave me sort d’une situation à laquelle je n’ai pas encore appris à réagir : plutôt que d’essayer de travailler ma voix pour parfaire mon passing, je préfère rester dans un cadre où je peux faire entendre à l’autre qu’il s’est trompé. Quitte à me prendre un « Mais en fait t’es un mec ! » ou un « T’es gay ? » qui me crache l’abyssale stupidité du passant moyen pour qui l’orientation sexuelle recoupe les pratiques sexuelles, intérêts romantiques, identités de genre et pratiques de travestissement. C’est ce que j’ai fait avec le crado près du métro, et c’est comme ça qu’il a réagi. Typique.

De tout cela, il apparaît que :

  • j’ai un passing féminin…non désiré (et pourtant, vu ce que je porte, on peut pas dire que je l’aie pas cherché !) ;
  • en tant que femme, j’ai probablement l’air moche. Causes probables : plate, mal fringuée, sourcils épais, maquillage peu visible ou peau boutonneuse ombragée de traces pileuses, expression faciale de merde, coiffure de cul ;
  • les gens le remarquent, et se croient autorisés à se comporter comme des cons. Peut-être apparaît-il aussi que les gens sont des cons, mais nous ne nous avancerons pas.

Je prenais déjà conscience, de plus en plus, du harcèlement de rue, en raison de mes lectures un peu féministes sur la blogosphère. Pour un homme, essayer de concevoir ça, c’est déjà pas mal bouleversant, et je pense que tout le monde devrait savoir de quoi il s’agit. Mais l’expérimenter soi-même, ça décape !
Mais dans cette dernière expérience, je n’ai pas seulement vécu un harcèlement de rue. Ce que j’ai avant tout connu, c’est un jugement esthétique péremptoire et débile, exprimé par un parfait inconnu envers ma personne, m’expliquant violemment, en passant, sans raison, que je ne correspondait pas aux canons de beauté féminins. Que ni mon corps, ni mon visage n’étaient acceptables à ses yeux ; que j’étais 100% thon, et que je devais en éprouver de la culpabilité, voire, dépenser de l’argent afin d’être un objet sexuel désirable (parce que oui, être désirable aux yeux d’un crado à casquette, en froques dégueulasses et aux manières rustres au-delà de l’abjection, c’est plus qu’un but à atteindre dans la vie : c’est une nécessité intrinsèque pour toute personne possédant un vagin).

Quelques réliques bien masculinistes bien connues posent de grands problèmes d’éthiques aux petits humoristes de soirée : « Tu préfères baiser une fille jolie de visage et avec un corps dégueulasse, ou l’inverse ? » Le commentaire de Mr C… avait pour but de me dévaloriser complètement sur les deux plans (moche de visage – dans sa totalité -, et n’ayant pas de boobs – même pas pettanko, quoi, nada ! -) en me renvoyant à ma condition d’être physique et non intellectuel. Raté pour lui : j’ai joué l’homme, réaffirmé ma voix, mon droit à parler, à ne pas être qu’un corps. À chaque fois que je parle d’une voix un peu plus grave que d’habitude à ceux qui me prennent pour une femme, j’espère leur transmettre mes conceptions intellectuelles sur le sexe et le genre des individus, sur la validité du discours intellectuel déployé par des non-hommes, d’un coup, comme un éclaircissement. Je l’espère, j’y crois, sur le moment ; inutile de me rappeler que je me fais des illusions.
Mr C… essayait visiblement de me dévaloriser ; pire, de me détruire, gratuitement. Et je peux vous dire, que mine de rien, ça m’a vraiment affectée. J’y ai repensé, je me suis sentie dépressive les jours qui ont suivi. Rétrospectivement, j’ai eu envie de lui conseiller de garder tout son pognon pour son seul pif, mais bon, too late…Surtout, j’étais en colère ; et puis ce type était incroyablement moche, il était d’une connerie accablante, j’aurais voulu avoir la puissance de jouer les « dames sans merci », dont la beauté se révèle soudain comme celle des fées, et qui usent de ce pouvoir pour lancer les mots les plus destructeurs au crétin qui les a froissées ; je voudrais aussi m’être retourné et l’avoir frappé, je voudrais avoir gagné une bagarre contre lui, avec la faiblesse de mes musles et la justice de mon ressentiment. Enfin, j’avais profondément pitié de ce connard.

La question de ses motifs, je préférais ne pas me la poser, j’avais d’ailleurs toute une série d’hypothèses toutes prêtes à ce sujet. Mais hier, en discutant de Mr C… avec une amie, on a soulevé un question particulière : était-il un clodo, un pauvre, un miséreux quelconque ? Après tout, la violence verbale envers des inconnues (femmes, donc vulnérables, à la fois inférieures et supérieures socialement) est un défouloir ; peut-être est-ce un palliatif qui permet de supporter une condition peu enviable ? Peut-être était-il vieux et frustré sexuellement ? Peut-être venait-on de le larguer ? Peut-être Mr C voulait-il faire de l’humour ? Se rassurer sur sa virilité ? Peut-être croyait-il juste et utile pour elles de complimenter les belles, et d’informer les moches ? Peut-être était-il employé par un chirurgien esthétique qui voulait s’essayer au marketing ?
Mais dans le fond, j’en ai rien à foutre. Ce type m’a juste traité de façon dégueulasse en m’ayant à peine regardée, et les motifs de son action ne la justifient pas ; même, je doute qu’ils suffisent à l’expliquer. J’ai juste envie d’oublier ce Mr Connard !

Et puis je pense que d’autres femmes se font insulter par ce type en ce moment même...
Je pense qu’il n’est pas seul...
Je pense que ces injonctions à la beauté poussent certaines femmes à complexer et à se dévaloriser, dans la mesure où elles n’ont pas la consolation de savoir qu’on ne naît pas belle, mais qu’on est obligée de le devenir au moins assez pour être « regardable ».

Connard de monde de merde…

 

EDIT : J’aimerais juste ajouter une chose. Ma propre réaction aux propos de Mr C… ne me plaît pas. Parce que je leur ai accordé une signification sur ce que je suis. Parce que je n’ai pas eu le courage (ni l’assurance) de répondre avec une voix féminine. Parce que je me suis appuyée sur des raisonnements et mécaniques sexistes, voire homophobes, pour essayer de le décontenancer.
Je trouve de l’intérêt aussi à cette annecdote dans la mesure où elle montre que le changement physique suffit à modifier le regard des autres, mais aussi la façon dont on perçoit le monde extérieur. Une insulte à laquelle je n’ai pas été préparée pas m’a beaucoup plus blessée que ce que j’aurais pu croire.